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La véritable expérience d’une demoiselle du téléphone

par | Nov 28, 2022 | L'histoire du téléphone, Outils de communication, Permanence téléphonique

Je vais vous raconter l’histoire d’une demoiselle qui s’occupait du téléphone dans les années 1929 en France. Madeleine souhaite gagner en indépendance et échapper à l’emprise paternelle, sa passion, le théâtre l’emmène à Paris après qu’elle ait exercé la profession de téléphoniste chez elle, à Bordeaux. Le récit de cette jeune femme nous plonge dans le Paris au début du XXème siècle, en arrière-plan se dessine la condition de la femme, outil et machine à la fois dont la déshumanisation au travail a été nécessaire aux progrès techniques que nous connaissons aujourd’hui

Après avoir quitté le central de Bordeaux qu’elle décrit comme à l’échelle humaine, Paris ouvre grand les bras à cette jeune fille qui n’a pour toit qu’une « chambre de bonne » dans des combles mal isolés munis d’un seul chauffage au pétrole pour une pièce de 9 m².

Le central de Paris dans lequel Madeleine gagne sa vie chaque jour se situe à l’Hôtel des postes, il s’appelle Gutenberg, elle décrit cette « salle immense comme la nef d’une cathédrale dont les autels seraient ces buffets de bois troués comme du gruyère». Elle ajoute : « Celui qui pénètre dans ce lieu saint de la technique ne voit que des dos sagement alignés. »

Ces dos sont un peu plus d’une centaine, dans un central, on y travaille comme à l’usine, avec une surveillante qui veille à la qualité ainsi qu’au respect des cadences, passer trop de temps au téléphone est susceptible de remontrance, il n’y a pas de place pour la connexion humaine, simplement de la mise en relation téléphonique. D’ailleurs les abonné(e)s qui à cette époque sont des personnes fortunées n’ont en guère le besoin, déjà suffisamment gênés à l’idée que des « petites gens » soient dans la confidence de leurs conversations privées. Cela leur valait parfois de se faire traiter avec condescendance. Madeleine Campana relate un échange qu’elle eut avec l’écrivaine Colette. Bien qu’elle finisse par se lier d’amitié avec celle-ci, le premier échange fut pour le moins sympathique. « Je suis Colette, ma petite, je n’ai pas de temps à perdre, je n’aime pas être obligée de me répéter. »

Des client(e) désagréables ou méprisant(e)s du fait de la condition de l’employée à laquelle elle avait à faire, il y en avait pléthore. Ainsi, l’actrice française Sylviac en 1904 reproche à une demoiselle du téléphone de s’exprimer comme une vachère, mettant en lumière une nécessité du travail au téléphone : la bonne élocution. Les insultes étaient aussi courantes. Lorsque la mise en relation ne fonctionnait pas et quelle qu’en soit la raison, la demoiselle du téléphone, soumise au secret professionnel, avait pour interdiction totale de communiquer des informations aux abonné(e)s sur les dessous du décor.

La classe sociale de la clientèle oblige cette administration publique à faire preuve de rigueur lors du recrutement des demoiselles qui doivent répondre à plusieurs critères. Être jeune, être célibataire, avoir une éducation et une morale irréprochables.

Le mariage de la demoiselle du téléphone pouvait donc, entrainer son licenciement !

Mais par-dessus tout, le critère indispensable à l’exercice de cette profession était la discrétion. En mettant en relation deux personnes qui souhaitent communiquer ensemble, la demoiselle du téléphone a la possibilité d’entendre la totalité de la conversation. Cette possibilité permettra aux résistants de la Seconde guerre mondiale d’obtenir des informations sur la stratégie de l’occupant.

Le réseau téléphonique français devient automatique en 1978 sur la totalité du territoire. Avant cette date, le réseau est dit commuté et des femmes assises à toute heure se chargent, grâce à un tableau de multiples ports jack, comme sur le téléphone, de distribuer la communication au destinataire en branchant un fil appelé dicordes dans le port adéquat. Autrement dit, la demoiselle du téléphone reçoit l’appel et le transmet à la personne demandée par le biais d’indicatif.

centraux téléphoniques, réseaux commutés.

Les conditions de travail étaient d’une pénibilité digne d’un travail à la chaîne, assise toute la journée, ayant la possibilité de ne se lever que très rarement, la demoiselle du téléphone finissait sa journée avec la tête qui bourdonne du fait des appareils qui grésillent et des autres femmes qui tentent de parler plus fort que la voisine pour se faire entendre de la personne au bout du fil.

De plus, l’appareillage était relativement conséquent : « Les téléphonistes sont harnachées d’un casque, prise reliant au standard, micro style entonnoir, contrepoids dans le dos ! en manuel intégral, chaque téléphoniste gère une centaine d’abonnés, donc autant de prises (jacks), qu’elle met directement en rapport avec le demandé, sur un tableau où il y a des milliers de jacks, un par abonné, relié au central. Voilà ce que nous apprend l’ouvrage de Colette Schwartz, Yveline Jacquet et Pierre Lhomme, « Des demoiselles du téléphone aux opérateurs des centres d’appels ».

Demoiselle qui branche la communication du téléphone

Les sièges ergonomiques n’existant pas à l’époque, elles prenaient place sur des assises en bois classique, comme celles que l’on peut trouver autour de la table de séjour de sa grand-mère.

La précarité du statut de certaines employées n’était pas pour arranger ces conditions de travail déjà éprouvantes. Les centraux téléphoniques étant reliés à l’administration des postes, télégraphes et télécommunications avaient la charge d’un service public, certaines femmes étaient titulaires et d’autres auxiliaires, la version ancienne des contractuelles de nos jours. Pouvant être révoquées à n’importe quel moment « corvéables à merci », comme le dit si bien Madeleine Campana dans ses confessions.

Campana nous livre aussi une fine analyse de la sociologie des demoiselles. Les auxiliaires étaient selon elles, recrutées en cas de surcroît d’activité, elles étaient polyvalentes et la précarité de leur statut les poussait même à accepter les tâches de balayage. Il leur était conseillé de passer le concours « mais de 1914 à 1918, il n’y eut pas de concours ». Encore aurait-il fallu que des filles qui avaient tôt quitté l’école eussent le courage, après des journées de travail de dix heures, de se remettre au français, à l’orthographe, à la géographie, à l’arithmétique pour avoir quelques chances de réussir. »

Après la fin de la guerre, « La demoiselle du téléphone » indique que des « dames » ayant une meilleure éducation mais déclassées par la vie avait rejoint les rangs, créant alors un conflit de classe à l’intérieur même du central de Gutenberg. « Les anciennes avaient connu en début de carrière un état proche de la misère, elles ne pouvaient pas l’oublier. De leur côté, les « dames », déclassées par rapport à la bourgeoisie dont elles étaient issues et où il était encore mal vu, pour les personnes du sexe, d’être obligé de travailler, vivaient en paix armée auprès de leurs collègues ; elles se sentaient bien au-dessus des petites auxiliaires ».

Le salaire était de misère pour les titulaires, 500 francs par mois et moins pour les auxiliaires. L’indépendance était au prix de sacrifice, les auxiliaires acceptant toutes les heures supplémentaires que les titulaires ayant une famille ne voulaient pas faire. Un système s’était même mis en place ressemblant à de la sous-traitance : l’administration payait aux titulaires leurs heures de travail supplémentaires et celles-ci en reversaient une partie aux auxiliaires qui dans les faits avaient vraiment travaillé.

Madeleine était hébergée par une connaissance, ce qui lui enlevait le loyer à payer mais que dire de celles qui n’avaient ni mari, ni famille ? Comme Gaby, une auxiliaire, collègue de Madeleine, elle se laissait « aller à des extrémités que la morale réprouve. »

Voilà le prix qu’ont payé certaines femmes pour leur émancipation, en France, au XXème siècle.

🧚🏾‍♀️Féériquement vôtre 🧙🏾‍♀️

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